De l'utilité de raconter sa vie

Publié le par Julz

Il y a un an, jour pour jour, mon grand-père était enterré, face à l'école primaire de la ville. Les gens présents aux funérailles ont trouvé cet emplacement opportun puisqu'il a été professeur (de français-latin-grec). Cela fait plus d'un an que mon grand-père est mort et je ne sais toujours pas quel homme c'était.

Oh, j'ai toujours mes souvenirs : il aimait les énigmes, les blagues à rallonge qu'il pouvait raconter à tous les repas de famille parce qu'au bout de 5 minutes plus personne n'arrivait à en suivre le fil, les jeux de mots, et il aimait bricoler avec des vieux trucs de récup. Je sais qu'il a fait la guerre d'Algérie, mais il ne m'a jamais rien raconté à ce sujet. Non pas parce qu'il n'en avait pas l'occasion, mais parce qu'il n'en avait pas l'envie.

Après sa mort, j'ai aidé ma grand-mère à vider sa maison afin qu'elle puisse déménager (ce qu'elle n'a pas encore fait à ce jour). C'est là que j'ai découvert la bibliothèque TRES abondante de mon grand-père, traitant principalement de l'art, de la littérature et de la religion (chrétienne). J'ai aussi été dans sa "réserve", un énorme débarras rempli d'objets variés, sans doute récupérés à la décharge et/ou gardés pendant des décennies. Des vieux vêtements, des déguisements, des meubles, des réserves de CD vierges par palettes entières, des bouts de machins inidentifiables... Et j'ai surtout jeté un oeil à sa collection de souvenirs au grenier, qui contenait pêle-mêle des lettres au "bon petit Jésus" pour Noël, des bons de rationnement datant de la guerre, des reliques précieusement emballées (pas le bras de Charlemagne hein, juste 1 cm² de linge ayant envelopper une relique de sainte).

En parcourant les livres d'art, qui témoignent de son goût mais aussi de celui de ma grand-mère, j'y ai vu
notamment de l'art roman, de l'art du XX° siècle et des photographies contemporaines.
Mais je ne connais toujours pas mon grand-père.

Il faut dire qu'il n'a jamais fait beaucoup d'effort pour qu'on se connaisse mutuellement, nous ses petits-enfants et lui. Il n'aimait pas voyager, ce qui impliquait que ma grand-mère montait souvent seule sur Paris et qu'on ne le voyait qu'en allant en Normandie. Là, il nous fabriquait une balançoire ou un drapeau de pirates, nous racontait ses fameuses blagues, mais jamais ne nous transmettait ce qu'il avait vécu, même une fois que nous avions grandi. Et il y a eu cette lettre dramatique, assez énigmatique à la première lecture, mais qui ensuite devenait très claire : il nous reprochait de ne pas être assez proches de lui et nous rappelait que sa vie était peut-être proche de son terme. Une lettre culpabilisante et franchement gonflée. Mes cousins y ont répondu par une lettre, pas insultante mais bien trempée qui lui renvoyait la faute. Nous avons de notre côté opté pour une gentille carte qui ne nous mouillait pas trop, en pensant que ce n'était pas la peine de nous brouiller avec lui. Mais après cette lettre de sa part, il n'y a eu aucun pas fait les uns envers les autres, aucun effort, aucun progrès.

Aujourd'hui, je regrette un peu ce manque de communication et peut-être aussi ce manque d'intérêt de notre part. En tout cas son manque d'envie de partager avec nous tout ce qu'il a vécu, tout ce qu'il était.

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Il y a un mois, je suis allée chez  mes autres grands-parents, et chez mon arrière-grand-mère. J'ai découvert un classeur dans lequel mon grand-oncle (suivez un peu, le frère de mon grand-père paternel encore en vie et le fils de mon arrière-grand-mère) a rédigé une partie de ses souvenirs d'enfance. C'était absolument passionnant. Je n'ai pas fini de le lire, mais il n'a pas non plus fini de l'écrire. J'en suis resté à ce que la famille a vécu pendant la deuxième guerre mondiale, jusqu'à la libération, mon arrière-grand-père étant mobilisé et mon arrière-grand-mère qui avait la vingtaine s'occupant de ses jeunes enfants et de ses jeunes frères et soeurs, après le décès prématuré de ses parents. Elle devait gérer toute cette grande famille et se débrouiller en temps de guerre et d'occupation. Ce classeur est rempli d'anecdotes plus ou moins légères, mais toutes très touchantes. Bien plus intéressantes en tout cas que les livres d'Histoire de Première. Et je suis très heureuse que mon grand-oncle ait eu cette envie de nous faire partager ses souvenirs.

Publié dans Rêveries

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E
<br /> <br /> Je passais par là et j'ai été touchée par ton histoire. Ton grand-père était très érudit mais il ne savait visiblement pas comment aller vers les autres pour leur être proche. C'est typique de<br /> cette génération qui a juste appris...à apprendre. Il a ensuite enseigné donc redonner ce qu'il avait appris comme il l'avait appris. On ne voyait pas trop ce qui comptait d'autre à l'époque. Et<br /> les rapports humains cela ne s'apprend pas le nez plongé dans les livres. Parmi les gens de cette génération née dans les années 20/30, ton grand-père n'est pas le seul à avoir souffert de ce<br /> déficit, la plupart ont été dans ce cas, sauf ceux qui naissent toujours avec un don inné pour les rapports humains. <br /> <br /> <br /> <br />
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L
<br /> Moi aussi, j'ai perdu mon grand-père il y a un an, le 1° mars 2009.<br /> Et moi aussi, j'ai découvert à partir de ce moment que, derrière cet papi un peu trop grincheux, se cachait un homme qui a fait de la Resistance, s'est battu en Indochine, et a fait une grande<br /> carrière militaire, jusqu'au garde de général. J'ai aussi retrouvé ses carnets de guerre, où j'ai pu lire tous ses faits et gestes.  <br /> Pour éviter que je ne regrette encore pour ma grand-mère, je me suis mise à la questionner : comment était ton enfance, comment t'as rencontré grand père ... ? Et, je me suis rendue compte<br /> qu'elle était contente d'en parler, de dire des choses qu'elle n'a jamais raconté, ni à mon père, ni à mes cousines. Il faut oser, connaitre la vie de sa famille, c'est tellement bon.<br /> C'est vrai que c'est tellement triste de ne pas savoir qui était nos grand-parents, de ne jamais avoir fait le pas pour leur demander qui ils étaient vraiment.<br /> <br /> <br />
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